Morenika, jeune fille brune

Morenika, c’est d’abord une interprétation particulière. Celle de l’immense Avishai COHEN que voici :

Moi, noire et splendide, fille de Jérusalem, comme les tentes de Qédar, comme les tentures de Salomon. (1, 5)

Ne me dévisagez pas, moi, la noirâtre, moi que le soleil a regardée. Les fils de ma mère se sont fâchés contre moi ; ils m’ont mise gardienne des vignes. Mais ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée. (1, 6)

Ces lignes, tirées du Cantique des Cantiques, daté traditionnellement du XIe siècle avant notre Ère, évoque ainsi une fille “noirâtre, que le soleil a regardée”.

C’est vrai qu’elle était belle ; elle était brune. Ses cheveux, sa peau : sombres. La brunette, la “morena”. C’est peut-être dans l’Aragonais qu’elle et les siens vivaient. Une région dont la langue était composée d’un aragonais mâtiné de castillan. Expliquant la terminaison en “ica” du nom qui fut attribué à la belle “Morena” : Morenica.

L’union de Ferdinand II d’Aragon et d’Isabelle de Castille, en 1469, à Valladolid, provoque l’union des deux principaux royaumes de la péninsule, à la base de la création de l’Espagne moderne.

La conquête de Grenade le 2 janvier 1492, qui signe la fin du Califat andalou, est suivie deux mois plus tard, le 31 mars 1492, du décret d’expulsion des Juifs. Les derniers Musulmans, les “Morisques” suivront en 1609. On sépare donc les Chrétiens des “infidèles”.

Les Siete Partidas, le plus important code de lois médiévales publié en 1265 par le roi Alfonse X, stipule que : “Tous les Juifs, hommes et femmes, qui vivent dans le royaume doivent porter un certain signe sur la tête, de sorte que tout le monde sache distinguer le Juif de celui qui ne l’est pas. Et, celui qui ne le porterait pas, devra payer une amende de dix maravédis d’or chaque fois qu’il ne l’ait pas ; et, s’il n’a pas de quoi verser cette somme, il recevra publiquement dix coups de fouet.” (titre XXIV, loi XI)

Comme le montre Maria Ghazali (1) :

La marginalisation et l’exclusion des minorités juive et musulmane était en train de se mettre en place au lendemain de la conquête chrétienne. Les mesures discriminatoires déjà prises alors vont se perpétuer, voire s’aggraver, pour aboutir à l’expulsion ou à la conversion forcée des Juifs en 1492 et des Mudéjares (Maures) de  Castille en 1502. Les dispositions prises envers les renégats et les hérétiques annoncent déjà aussi la politique que mènera l’Inquisition espagnole à l’époque moderne vis-à-vis des Judéo-convers et des Morisques.

Les événements de 1492 sont donc la fin d’un processus par lequel l’Espagne exclut ses minorités ethniques et religieuses. (1)

On a parlé d’elle encore longtemps après que les siens aient quitté l’Espagne, départ provoqué par le décret de l’Alhambra, en 1492.

Plus tard, Gonzolo Correas publia en 1625 une chanson traditionnelle espagnole :

Morena a me Mi llaman los marineros ; Si otra vez me llaman, me voy yo con ellos.” [Les marins m’appellent “une sombre” ; si on m’appelle une fois de plus, j’irai avec eux”]

Des paroles proches de la célèbre chanson Morenica popularisée par le talentueux Avishai Cohen présenté en introduction et dont voici les paroles :

Morenica ami may yaman
Yo blanca nacy
E del sol del anberano
yo may zay ancy

Morenica
Grasyozika soz
To morena eyo grasiyozo
E ojos pretos too

Morenica ami may yaman
Los Marineros
C otra ves a mi may yaman
May vo con aios

Morenica
Grasyozika soz
To morena eyo grasiyozo
E ojos pretos too

Morenica
Grasyozika soz
To morena eyo grasiyozo
E ojos pretos too

• En français :

Morenica, ils m’appellent
Ma peau était pure et blanche
Du feu du soleil d’été
Je suis sombre
Morenica
Tellement belle
Dans tes yeux – un feu
Mon cœur brûlant est tout à toi
Morenica, ils m’appellent
Tous ceux qui descendent à la mer
S’ils m’appellent encore une fois,
Je vais aller avec eux à nouveau
Morenica, ils m’appellent
Fils du roi régnant
S’il me demande de nouveau
Je vais le suivre. (…)

Brunette ils m’appellent, pure était ma peau
et du rougeoiement de soleil d’été et je suis noire

Morenika, ils m’appellent
Ma peau était blanche et pure
du feu du soleil d’été
Je suis sombre

Refrain :

Morenika
Tellement belle
Dans tes yeux, un feu brûlant
Mon cœur est tout à toi

Morenika, ils m’appellent
Tous ceux qui descendent à la mer
S’ils m’appellent encore une fois,
Je vais aller avec eux à nouveau

Morenika, ils m’appellent
Le fils du roi régnant
S’il me demande à nouveau
Je vais le suivre


Un grand merci à Martine S. pour son aide précieuse à propos du texte.
Merci à l’Ensemble Balkanes, pour ce magnifique spectacle “Chants Séfarades en Terres Balkanes” du 13 juillet dernier à La Ciotat au cours duquel nous avions entendu une si belle interprétation de “Morenika”… 


Liens :

(1) https://didierlong.com/tag/marranes/

 • L’article de Maria Ghazali : Marginalisation et exclusion des minorités religieuses en Espagne : Juifs et Maures en Castille à la fin du Moyen-Age 


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