Ce que nous avons vu…

Il est des moments où nous comprenons sans effort ce que représente le terme humilité. Cette visite, résolument, en fait partie.

Ô temps, suspend ton vol, écrivait le poète. Comme il avait vu juste. Le temps était suspendu. Nous étions là, seuls, face à ce que l’Histoire pouvait avoir de plus fort, de plus majestueux à nous livrer. Minuscules devant l’immensité. Conscients que cet instant  restera à jamais gravé dans nos mémoires. Cette escapade à Paris nous avait conduit devant le Panthéon.

Imposante bâtisse dont l’origine remonte à Louis XV qui avait projeté de construire une église gigantesque à la gloire de Sainte Geneviève. Dans un style néo-classique, la construction sera menée par Soufflot puis, après sa mort, par son plus proche élève. Car il en aura fallu des années pour qu’une telle entreprise soit terminée… Puis les aléas des périodes traversées ont régulièrement modifié la destination de ce monument : entre religieux et républicain. Il faudra attendre le XIXe siècle, en 1885 exactement, avec l’inhumation de Victor Hugo, pour que le Panthéon devienne définitivement ce lieu où la Patrie reconnaissante accueille ces grands Hommes.

Quelle visite passionnante, livrant les détails étonnants de ces décors peints et sculptés du XIXe siècle, la reconstitution de l’expérience du pendule de Foucault de 1851…

Puis nous quittâmes cet espace gigantesque pour nous engager dans un escalier étroit. Une descente s’amorça en colimaçon. De la lumière, nous passions à la pénombre. Du bruit, au silence. Nous étions dans la Crypte…

Changement d’univers. Changement de plan. Là, ce n’était plus nous qui observions les monuments, c’était l’Histoire qui nous regardait. Au plus profond de nos yeux. Au plus profond de notre âme. Voltaire, Emile Zola, Jean Moulin, Marie Curie, et tant d’autres…

Nous revint alors la voix d’André Malraux, ministre de la Culture de l’époque, qui, le 19 décembre 1964, prononça ces mots devenus éternels, à l’occasion du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon :

” (…) Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d’exaltation dans le soleil d’Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi — et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé. Avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses. Avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres. Entre avec le peuple né de l’ombre et disparu avec elle — nos frères dans l’ordre de la Nuit…

Commémorant l’anniversaire de la Libération de Paris, je disais : «Écoute ce soir, jeunesse de mon pays, les cloches d’anniversaire qui sonneront comme celles d’il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi».

L’hommage d’aujourd’hui n’appelle que le chant qui va s’élever maintenant, ce Chant des Partisans que j’ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d’Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Runstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Écoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l’an II, de celles de Victor Hugo avec lesMisérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu’elles reposent avec leur long cortège d’ombres défigurées.

Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé. Ce jour-là, elle était le visage de la France ».

Voilà ce que nous avions vu. Voilà ce que nous avions ressenti. Le lien était fait avec la grande Histoire de notre Patrie. Nous n’étions déjà plus ce que nous étions il y avait quelques instants…

Victor Hugo
René Cassin

 

Jean Moulin

 

Jean Jaurès

 

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