On se dit que cette guerre, qui pourrait bien durer cent ans, voire plus – étant donnée la quinzaine de belligérants engagés à l’échelle de toute l’Europe – allait connaître une trêve… Seguin avait sa mine des mauvais jours. Il savait que dès la paix retrouvée – fut-elle courte – ses deux-mille hommes et lui n’allaient plus être payés. C’est aux côtés des Godons qu’il avait choisi de s’engager. Drôle de nom, s’était-il dit à l’époque. Ce sont en fait les Anglais. On les appelle ainsi en raison d’un juron « God dam » (Dieu me damne). Les Godons… Il avait vingt-six ans lorsqu’il combattit pour la première fois avec eux. C’était lors de la mémorable bataille de Poitiers, en 1356. Seguin savait que le Languedoc méritait une halte, en cas de trêve : il y en avait des richesses là-bas ! Une prometteuse Abbaye se rappela d’ailleurs à son souvenir…
Cette Abbaye se situait précisément à Valmagne. Revenons un instant sur son histoire, qui commence en 1139.
Ce fut du monastère bénédictin d’Andorel, près d’Albi, ce printemps de l’année 1139, que partirent de nombreux religieux qui – suivant l’abbé Fouques – se dirigèrent, à l’appel des puissants seigneurs de Cabrières, vers les rivages lumineux de la Méditerranée, pour y fonder un nouveau Monastère…
Arrivés sur un immense territoire non loin de Thau, ils s’arrêtèrent. Là, tout semblait convenir à leur projet. Ce domaine, qu’on appelait alors Vallis Magna ou encore Villa Magna se trouvait près d’une source abondante et était abrité des vents du nord grâce à d’imposants rochers.
Dès le mois d’août de l’année 1139, les donations se multipliaient ; l’évêque d’Arles, Raymond, s’était chargé de les recueillir, en veillant au respect de la règle de Saint Benoît. Or, en 1144, le deuxième abbé de Valmagne souhaita inclure ce futur monastère à Cîteaux, qui fut fondé par Robert de Molesme en 1098, dans le but de revenir à la règle originelle de saint Benoît, par la pauvreté, la pénitence et la solitude.
Non sans quelques difficultés, Valmagne sera définitivement rattachée à l’Ordre cistercien en 1159, sur une décision du Pape Hadrien IV. La tradition originelle sera de mise : « Le monastère sera construit de telle façon qu’il réunisse dans son enceinte toutes les choses nécessaires, savoir : l’eau, un moulin, un jardin, des ateliers pour divers métiers, afin d’éviter que les moines n’aillent au-dehors. » L’église sera construite sur le point le plus haut et pour quatre-vingts moines.
Ceux-ci, respectant le travail manuel, seront forgerons ou tisserands, d’autres se livreront à l’écriture ou deviendront copistes. A l’est de l’église sera bâtie la bibliothèque ainsi que la sacristie, la salle capitulaire, l’auditorium qui communique avec l’infirmerie, et le scriptorium. Au sud s’élevèrent le chauffoir, la cuisine et le réfectoire.
Cette Abbaye connut une période de grande richesse et d’expansion, et – cent ans après sa première construction, l’église primitive romane fut démolie pour en rebâtir une nouvelle, sur les mêmes fondations.
Vallemagne connaîtra par la suite la même « démesure » qui gagna l’Ordre tout entier : tout de même, la nouvelle église abbatiale n’a que 10 mètres de moins que Notre Dame de Paris…
Mais lors des temps qui suivirent, l’Abbaye ainsi que l’Ordre lui-même seront frappées par les terribles crises économiques, politiques et sociales qui secoueront le pays. Une terrible famine (au début du XIVe siècle), la peste noire (en 1348), sans oublier les dégâts causés par les campagnes militaires de la guerre de Cent Ans. Les périodes de paix restent toutefois redoutables car les compagnies de mercenaires qui avaient été recrutés se retrouvaient dès lors sans employeurs. Il vivaient alors au détriment des populations rencontrées. (« Routiers » du latin « ruta » qui signifie « troupeau », d’où le terme « routiers » pour en qualifier les membres).
Il était l’un d’eux, Seguin. Un chef, même ! Né en 1330 au château de Badefols, on l’appelait ainsi : Seguin de Badefol. Il y a belle lurette qu’on ne l’appelait plus par son sobriquet qui l’avait poursuivi dans sa jeunesse : Chopin Badefol… Commandant 2000 routiers, il a combattu sur bien des fronts dont la bataille de Poitiers, en 1356, nous l’avons dit. La paix revenue, il envahit en 1361 le Languedoc, le Roussillon, le Toulousain et le Rouergue. Où ils passaient, ils amenaient une terreur extrême : les routiers torturaient, massacraient et tuaient pour voler. Seguin de Badefol contraint l’abbé de Valmagne à bâtir des fortifications dans son abbaye…
La désolation qui frappa l’abbaye de Valmagne – comme elle frappa de nombreuses autres abbayes – se traduisit par la perte progressive de nombreuses terres au point que les immenses propriétés finiront par disparaître. A partir de 1560, le région est encore secouée avec les guerres entre catholiques et protestants… L’abbé de Valmagne avait rejoint les rangs des réformés et, en 1575, c’est lui-même qui vint, à la tête de troupes, faire le siège de son ancienne abbaye. Il tua tous les catholiques qui s’y trouvaient, ainsi que les religieux qui s’opposèrent – parmi eux un vieux moine de quatre-vingts ans nommé Nonenque fut pendu.
Seguin de Badefol avait à ce moment quitté notre monde depuis bien longtemps. Le 18 janvier 1366 – âgé de trente-six ans – il se rendit auprès de Charles II de Navarre dans le but de récupérer quelques arriérés de solde… Mais il mourut empoisonné, après avoir mangé des coings et des poires à Falces, en février 1366 (à moins que ce ne ce furent des figues à Pampelune, mais en décembre 1365).
De nos jours, cette magnifique Abbaye se dresse toujours fièrement, près de Mèze et de l’étang de Thau, dans le Languedoc Roussillon. Parfaitement restaurée, elle attend vos visites. Richement documenté, le parcours proposé nous projette formidablement dans le passé de cette vénérable construction. Acquise en 1830 par le comte de Turenne, avec la permission de l’évêché, l’Abbaye de Valmagne est actuellement toujours dans la descendance du comte de Turenne.
Itinéraires :
Sortie autoroute : Sète, suivre direction N113 Mèze
Au centre de Mèze, tourner à droite et suivre les panneaux :
Abbaye de Valmagne.
Sortie autoroute : Pézenas – suivre RN113 à Montagnac
Au centre de Montagnac, tourner à gauche et suivre les panneaux :
Abbaye de Valmagne.
Sources :
Livre :
Gaudart d’Allaines (de), Diane, « L’Abbaye de Valmagne » (photographies, Olivier Maynard), Éd. « Ouest-France », DL 2014, Rennes, Impr. : 85-Luçon/Pollina, 47 p.
Numéros : ISBN 978-2-7373-6211-8 (br.)
EAN 9782737362118
Notice n° : FRBNF43762985
Ressources numériques :
- Seguin de Badefol (Wikiwand) ;
- Seguin de Badefol (Documentation)
- Le site de l’Abbaye de Valmagne ;
- La guerre de Cent Ans (Wikiwand) ;
- A propos des grandes Compagnies de Mercenaires (Routiers).
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