Quel plaisir que de retrouver, soit le texte du discours d’André Malraux, soit la vidéo de cette cérémonie laissant transparaître sans peine le froid glacial qui régnait, ce 19 décembre 1964. Quel plaisir, mais quelle émotion, surtout.
Une émotion vraie liée à la langue employée et au ton proposé par André Malraux.
Revenons il y a soixante-et-un ans et constatons combien tout a pu changer. Ô combien !

Un résumé de la cérémonie :
En cette fin d’après-midi glacial et venteux du 19 décembre 1964, un cortège solennel part de la cour d’honneur de l’Hôtel de Ville de Paris vers le Panthéon.
L’urne symbolique contenant des cendres représentant Jean Moulin, est portée par des membres de la Résistance.
Une foule nombreuse se tient tout au long du parcours ; l’événement est entièrement filmé par l’ORTF.
Le cortège arrive au Panthéon, aux alentours de 16h30.
Dans une atmosphère très sombre et solennelle, André Malraux prononce son grand discours, devenu si célèbre.
L’urne est ensuite déposée dans le Panthéon, scellant l’hommage national.

Contexte général :
1964 marque le vingtième anniversaire de la Libération de la France.
Le Général de Gaulle, alors Président de la République, souhaite raviver la mémoire résistante et l’unité nationale, autour de figures emblématiques.
L’entrée de Jean Moulin au Panthéon est symbolique : ce ne sont pas ses restes, mais une urne contenant des cendres censées représenter la Résistance.
Pourquoi Jean Moulin ?
Car il représente :
- L’unification de la Résistance intérieure (création du CNR) ;
- L’engagement républicain ;
- Le sacrifice (mort suite à ses tortures en 1943) ;
- Sa panthéonisation répond également à une volonté politique de mettre en avant une mémoire héroïque et fédératrice.
Une cérémonie très médiatisée
L’événement est intégralement filmé par l’ORTF, dans une France où la télévision devient une référence nationale.
La mise en scène est voulue très solennelle : musique de compositeurs français, cortège lent, images en noir et blanc passées à la postérité.
Le rôle de Malraux
André Malraux, Ministre de la Culture, figure intellectuelle majeure du gaullisme, est chargé du discours.
Son allocution devient rapidement l’un des discours les plus célèbres de la Cinquième République, notamment par la phrase :
« Comme Leclerc entra aux Invalides, entre ici, Jean Moulin (…) »
Portée mémorielle :
La cérémonie institue une vision « héroïque » de la Résistance : un mythe fondateur de la France d’après-guerre.
Elle contribue à fixer dans la mémoire collective une figure quasi sacrée de Jean Moulin, qui ne sera réévaluée – dans sa complexité – qu’à partir des années 1980-1990.

Jean-Moulin – Chartres – Préfet d’Eure-et-Loir, en 1940
Ce cliché rare de Jean Moulin a été retrouvé très récemment et transmis par les services de la Préfecture d’Eure-et-Loir aux Archives nationales. En janvier 1939, le grand homme y avait été nommé préfet. Le voici donc à son bureau, très probablement à Chartres, à l’Hôtel de Ligneris, préfecture d’Eure-et-Loir, en 1940.
Pour aller plus loin :
La cérémonie du 19 décembre 1964 a autant marqué la mémoire collective pour cinq raisons majeures :
- Parce qu’elle crée – nous l’avons dit plus haut – le mythe de Jean Moulin
Avant 1964, Jean Moulin est connu dans les cercles résistants, mais ne représente pas encore une figure nationale unanime. La panthéonisation, souhaitée par De Gaulle, fait de lui :
• Le symbole de l’unité de la Résistance (avec le CNR) ;
• Le martyr absolu (mort sous la torture, sans avoir parlé) ;
• L’incarnation d’une France héroïque et républicaine.
A partir de ce jour, Jean Moulin devient une figure centrale du récit national.
- Parce que le discours de Malraux est un chef-d’oeuvre
Le discours d’André Malraux – « Entre ici, Jean Moulin » – devient rapidement un texte fondateur.
– La langue est épique, quasi littéraire ;
– Le rythme est lent, très travaillé, le ton lyrique ;
– Superposition du destin personnel de Jean Moulin et du destin de la France ;
– Appel à une mémoire unificatrice, après les divisions de l’après-guerre.
Même l’entrée de Malraux dans le champ de la caméra fut mise en scène :
– Il se détache lentement de la pénombre ;
– Il s’avance vers les micros ;
– Son discours commence presque dans un chuchotement ;
– Puis la voix se déploie jusqu’à remplir tout l’espace, telle une montée dramatique.
- Parce qu’il s’agit de la première cérémonie médiatique
Grâce à l’ORTF* la télévision diffuse un cortège solennel, des images en noir et blanc très contrastées et une esthétique quasi cinématographique (ralentis, gros plans, silences, musiques).
Furent utilisées des caméras fixes et lentes ; des plans très sombres ont été tournés à l’intérieur du Panthéon. À noter qu’il n’y eut aucune parole superflue : beaucoup de silences précédèrent le discours. Le montage fut minimal : on laissait le temps s’étirer (ce qui amplifie l’émotion). De nombreuses images deviendront, nous l’avons dit, iconique, notamment le moment où l’urne fut portée dans la nef obscure.
Pour des millions de Français, c’est la première fois que la télévision sacralisait un moment historique ; les images devinrent rapidement iconiques.
- Parce que la France avait besoin d’un récit héroïque
Souvenons-nous : en 1964, la guerre d’Algérie vient de se terminer, l’image de la Résistance a été brouillée par des querelles mémorielles, les Français ont besoin d’un symbole consensuel.
La figure de Jean Moulin contribue alors à réunifier, à donner un repère clair, indiscutable, fédérateur.
- Parce que la cérémonie mêle émotion, grandeur et intimité
Le cortège se déplaça silencieusement dans Paris, accompagné par une musique funèbre. L’esthétique du Panthéon fut volontairement sacrée. Le ton grave de Malraux ajouta à cette dimension si particulière.

(*) ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) : cet établissement public créé en 1964 est le successeur de la radiodiffusion-télévision française (RTF). Ses missions consistaient en la tutelle de la radiodiffusion et de la télévision publique et la gestion des émetteurs et de la production audiovisuelle nationales et régionales. A cette époque il y avait deux chaînes, à la télévision.
Notes :
Le film de ce discours (INA) : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00013168/discours-hommage-d-andre-malraux-a-jean-moulin

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