Une Abbaye de Provence

Ce soir-là, Bernard de Clairvaux flânait dans les allées de l’Abbaye qui portait son nom et dont il était si fier. Il avait soixante-deux ans et ressentait de plus en plus le poids des années. Une douce température flottait dans cette soirée de septembre 1152. 

Il pensait aussi à sa vie de moine. Originaire de Dijon, il lui revenait en mémoire le souvenir d’un autre moine : Robert. Ce moine qui, près d’un siècle auparavant, vers 1075, avait créé un monastère, à Molesme, près de Châtillon-sur-Seine. Robert de Molesme avait marqué durablement l’esprit de Bernard de Clairvaux qui savait que son illustre prédécesseur avait réagi face à la puissance et la richesse de l’Ordre monastique clunisien.

Robert de Molesme avait en effet constaté ces dérives qui éloignaient de jour en jour son Ordre de la Règle stricte de Saint Benoit rédigée vers 534 et qui prônait l’humilité, l’obéissance, la pauvreté et le juste équilibre entre travail manuel et prière… En 1098, il fonda  l’abbaye de Cîteaux avec vingt et un compagnons, partis eux aussi de Molesme, le  ; ce sera le berceau de l’Ordre cistercien. Il y mourut en 1111 et – par conséquent – n’assista pas à l’essor qui suivit la fondation de l’abbaye de Cîteaux : pas moins de quatre abbayes “filles” furent créées entre 1113 et 1115 à La Ferté, Pontigny, Morimond et Clairvaux. 

Bernard s’assit sur un banc de pierre puis, les yeux tournés vers le ciel, il soupira. Il se souvenait parfaitement de cette année 1112 durant laquelle, alors âgé de 22 ans, il arriva à ce monastère, dirigé par l’abbé Etienne Harding,  accompagné d’une trentaine de proches ou membres de sa famille. Robert de Molesme y décéda l’année précédente. Bernard avait pour objectif de vivre intégralement la règle de saint Benoît. Trois ans plus tard, Harding envoya Bernard à la tête d’un groupe de moines pour fonder une nouvelle abbaye cistercienne dans une clairière isolée à une quinzaine de kilomètres de Bar-sur-Aube, le Val d’Absinthe. Elle fut appelée “Claire Vallée” (clara vallis) et devint par la suite “Clairvaux”. Bernard en fut élu abbé. Il se souvenait avoir imposé une discipline très dure lors des premières années. Il se rappela aussi quel succès l’abbaye remporta. En cette année 1152, elle comptait près de cent soixante moines. Les gens affluaient en masse. Clairvaux donnera par la suite naissance à soixante-huit abbayes nouvelles et l’Ordre Cistercien compte près de trois cent cinquante abbayes, dont trois furent implantées en Provence. Ce fut le cas de celle du Thoronet.

En 1136, un groupe de moines partit de l’abbaye de Mazan, en Ardèche. Ils bâtiront un monastère une quinzaine d’années plus tard, en un lieu boisé, près de Lorgues. La construction dura de 1160 à 1230. Au début du XIIIe siècle, le monastère abritait une vingtaine de moines et quelques dizaines de frères convers, chargés des travaux manuels. Expression de l’art cistercien, cette construction est faite de dénuement extrême, de lignes pures, de simplicité des volumes. Deux siècles plus tard, survint un déclin inéluctable. Demandes de restauration en 1660, signalement de fissures et d’effondrements de toitures en 1699. Les dégradations devinrent vite insurmontables. En 1790, il ne restait plus, dans ce lieu au riche passé, que sept moines âgés. Grâce à Prosper Mérimée – le célèbre écrivain fut également l’un des premiers inspecteurs des monuments historiques – l’abbaye échappa à une disparition quasi certaine.  Sa restauration débuta en 1841 et se poursuivit jusqu’à nos jours. A partir de 1854, l’Etat a racheté ce site magnifique que l’on peut visiter tout en suivant les commentaires passionnants de guides d’une grande érudition.

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Bernard de Clairvaux fut saisi par la fraicheur soudaine de la température extérieure. L’automne se rappelait à lui. Une étoile, dans le ciel, semblait se détacher. Il rentra vers l’abbaye, heureux de tous ces souvenirs d’une vie riche à bien des égards, bien qu’elle fut consacrée au plus grand dénuement. A l’étage il gagnera le dortoir. Là, les moines dormaient à même le sol, sur de simples paillasses.

Au crépuscule de sa vie, il observait l’Abbaye et ses environs ; il savait qu’en cet endroit il reposera, lorsque l’heure du rappel aura sonné. Lorsqu’on l’amènera par la porte des morts, vers le cimetière, sa dernière demeure, où, dans le plus grand dénuement, il sera inhumé enveloppé d’un simple linceul, sans cercueil ni pierre tombale. 

Il y pensait de temps en temps.

Le dépliant :

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